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Face aux critiques, le Conseil fédéral renonce à faire du vote par Internet un canal ordinaire. Le chancelier Walter Thurnherr, chargé du projet, s’explique.

  • Lise Bailat et Arthur Grosejan
  • Berne

TdG-28052019-«Il est très difficile de créer de la confiance avec un ordinateur» Vote électronique

Le projet phare endossé par le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr (PDC), est entré dans une phase de survie. Après quinze ans d’essais, le Conseil fédéral juge que le système de vote par voie électronique n’est toujours pas mûr. Walter Thurnherr s’explique.

Vous tirez la prise du vote électronique. C’est un échec retentissant!

Non, le Conseil fédéral ne tire pas la prise. Il a décidé, sur ma proposition, de renoncer au projet mis en consultation. Nous proposions deux choses: inscrire dans la loi les conditions de sécurité qui figuraient jusqu’ici dans l’ordonnance. Et faire du vote électronique le troisième canal de vote ordinaire. La grande majorité des Cantons s’est montrée favorable à notre proposition, mais la grande majorité des partis était contre. Dans ces conditions-là, nous estimons préférable de poursuivre la période d’essais.

Mais c’est un gros coup d’arrêt.

C’est un ralentissement, mais pas un arrêt.

Quelle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase?Le fiasco de La Poste ou la décision de Genève de ne plus exploiter son système de vote électronique dès 2020?

Il y a plusieurs facteurs. La perception du vote électronique a changé ces trois dernières années. La consultation l’a confirmé. En plus, il y a eu les failles découvertes lors de la publication du code source et du test d’intrusion du système exploité par La Poste, partenaire de nombreux cantons. Cela a renforcé l’insécurité. Mais je le répète: la grande majorité des acteurs consultés a dit oui au vote électronique sur le fond, mais pas maintenant.

Et il y a encore la pression d’une initiative populairequi demande un moratoire…

À mon avis, c’est un symptôme de plus qui montre que la perception a changé. Par contre, la majorité de ceux qui ont eu la possibilité de voter par voie électronique l’a fait. Mais il y a aussi des gens qui se sont rendu compte qu’il y a des risques derrière le vote électronique, ce que nous avons peut-être sous-estimé.

Vous admettez avoir minimisé les risques?

Nous n’avons connu ni problèmes ni pannes majeures lors des 300 essais de vote électronique menés. Les expériences ont donc été positives. Mais lorsque nous avons fait publier le code du système exploité par La Poste et soumis ensuite ce système à un test d’intrusion, nous avons mis en jeu la confiance. Et deux failles ont été trouvées, alors que ce code avait auparavant été certifié avec succès. Le système et la procédure de contrôle n’étaient donc pas aussi aboutis qu’attendu.

C’est le fond du problème, on ne peut pas avoir confiance.

Le débat a montré qu’il est très difficile de créer de la confiance avec un ordinateur. Il y a eu en 2017 ces rumeurs de manipulation des élections aux États-Unis, qui ont marqué. C’est une boîte de Pandore pour beaucoup de gens. J’ai toujours dit qu’il fallait prendre au sérieux les craintes de ceux qui estiment que les risques du vote électronique surpassent ses avantages. Mais je ne crois pas que la décision du Canton de Genève de renoncer à sa plateforme était liée à cet aspect, mais plutôt à des raisons financières.

Les Genevois expriment bien le malaise: ils sont les seuls à avoir développé un système public de vote électronique. Et il n’y a pas de soutien fédéral!

Ce n’est pas vrai. La Confédération a soutenu la création de cette plateforme en investissant 1,4 million de francs. Mais nous avons toujours dit que notre rôle est d’examiner, de surveiller et de contrôler le vote électronique.

Vous vous contentez donc de faire le gendarme. Pourquoi ne pas se mouiller plus?

Car il est de la compétence des cantons d’organiser leurs votations et leurs élections. Deux tiers des scrutins en Suisse ont lieu aux niveaux cantonal et communal. Imaginons que la Confédération ait développé un système de vote électronique qui corresponde plutôt aux besoins du Canton de Glaris que de celui de Neuchâtel. C’est un problème de logiciel aussi. Et la Confédération ne peut pas à la fois mettre à disposition une telle plateforme et se charger de la surveiller et de la contrôler. Ce ne serait pas faire preuve de bonne gouvernance.

Vous avez joué sur la concurrence entre les systèmes. Au final, c’est un champ de ruines.

On a toujours dit qu’à la fin, il y aurait peut-être trois ou quatre plateformes de vote électronique à disposition des cantons, ou peut-être aucune, si cela ne répond pas à un modèle économique ou à un besoin.

Conséquence à court terme: aux prochaines élections fédérales, il n’y aura pas de vote électronique. Juste?

Peut-être. Le Canton de Genève a renoncé à l’organiser. Et vu les problèmes rencontrés par La Poste, nous avons décidé de mener un audit. Si les résultats sont négatifs, on ne pourra pas accorder d’autorisation.

Vous avez voulu aussi auditer le système genevois. Ça a fâché!

Je respecte la décision du Canton de Genève de ne pas mettre à disposition sa plateforme pour les élections fédérales. Mais cet audit n’était pas une condition supplémentaire. J’aurais apprécié qu’il l’accepte pour créer de la confiance. Mais je crois qu’il a aussi renoncé à cause du délai, à savoir que le Conseil fédéral décidera en août s’il autorise des votes électroniques pour les fédérales. Cela dit, le délai était le même il y a quatre ans.

Maintenant, vous devez restructurer la phase d’essai. Ça ne veut rien dire…

Beaucoup de nouvelles idées ont été avancées récemment: est-ce que la technologie de la blockchain serait une alternative? Avons-nous d’autres moyens que la certification pour examiner le code des systèmes de vote électronique? Nous devons y réfléchir. Et à la fin, cela dépendra des cantons. S’ils n’en veulent plus, nous l’accepterons.

De nombreux pays ont renoncé au vote électronique, trop cher et moins fiable que le papier. Faut-il s’acharner?

Si au début du développement de l’automobile, on avait eu cette attitude, peut-être qu’il n’y aurait jamais eu de voitures! Et vous oubliez aussi que 10% des Suisses vivent à l’étranger. La loi leur donne la possibilité de voter. Mais, de facto, beaucoup ne l’ont pas. Cela a convaincu jusqu’ici pas mal de cantons d’offrir ce canal du vote électronique.

Le vote électronique est un progrès et les sceptiques vivent au Moyen Âge?

Je n’ai pas dit ça. Je dis simplement qu’on n’en sait rien et qu’il est difficile de trancher maintenant. Peut-être que dans quarante ans, on se demandera pourquoi on ne l’avait pas adopté avant ou abandonné plus tôt.

Les Suisses de l’étranger sont consternés

Suite à la décision du Conseil fédéral, l’Organisation des Suisses de l’étranger a exprimé sa consternation. «Le vote électronique est le seul moyen pour nos concitoyens expatriés d’accéder aux élections et votations», écrit-elle. Elle craint une démobilisation des acteurs impliqués. En face, le comité qui a lancé l’initiative populaire «Pour une démocratie sûre et fiable» salue cette décision du gouvernement, mais maintient son texte qui vise un moratoire. Vaud fait partie des trois seuls Cantons, avec Schwytz et Nidwald, à avoir rejeté le projet mis en consultation. La conseillère d’État Béatrice Métraux indique que le Conseil d’État réaffirme qu’il souhaite «un système de vote électronique en mains publiques, qui permette de garder le contrôle sur la sécurité et le secret du vote».

Le Conseil d’État genevois est sur la même ligne. Il nous dit être favorable à la mise en œuvre d’un canal de vote électronique, mais réalisé et exploité par la Confédération. Il ne juge pas «raisonnable de voir se multiplier de complexes solutions techniques de haute sécurité à l’échelle de toute la Suisse». Pour lui, le vote électronique doit donc rester entre les mains des collectivités publiques.

source: Tribune de Genève

TdG-28052019-«Il est très difficile de créer de la confiance avec un ordinateur» Vote électronique democracy security cyber-security votation

du Journal LE TEMPS du 28062019
  1. L'arrêt du vote électronique consterne les Suisses de l'étranger
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ARCHIVBILD ZUM INTRUSIONSTEST FUER E-VOTING-SYSTEM --- Du materiel de vote electronique et les bulletins pour l'election au Conseil national et au Conseil des Etats du canton de Geneve, photographie avant les elections federales 2015 ce vendredi 9…
© Keystone

4 minutes de lecture

Technologies Elections fédérales

Bernard Wuthrich
Publié jeudi 27 juin 2019 à 09:00, modifié jeudi 27 juin 2019 à 15:56.

Démocratie directe

L'arrêt du vote électronique consterne les Suisses de l'étranger

(extraits du journal Le Temps du 28062019)

Le Conseil fédéral renonce à faire du scrutin électronique un canal de vote officiel. Mais il laisse la porte entrouverte

L'Organisation des Suisses de l'étranger (OSE) est «consternée» par la décision du Conseil fédéral de ne pas reconnaître le vote électronique comme canal officiel. Les représentants de celle qu'on appelle la «Cinquième Suisse» ont besoin de cet instrument pour exercer leurs droits démocratiques, insiste-t-elle. Mais, pour l'heure, elle doit s'accommoder de la décision du gouvernement et voir si certains de ses affiliés pourront malgré tout utiliser ce canal de vote pour les élections fédérales de l'automne. La porte n'est pas complètement fermée.

Le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr a annoncé jeudi que le Conseil fédéral avait décidé d'abandonner son projet «pour l'instant». Le vote électronique est officiellement suspendu et une remise en route ultérieure n'est pas exclue. Toutefois, le contexte dans lequel cette suspension intervient ouvre peu de perspectives d'avenir à ce mode de scrutin. Les Suisses, y compris ceux qui sont installés à l'étranger, continueront de voter en glissant un bulletin dans une urne ou par correspondance.

Lire aussi: La «faille considérable» du vote électronique

Deux modèles étaient à disposition pour des essais en Suisse: l'un a été développé par La Poste en partenariat avec l'opérateur espagnol Scytl, l'autre par le canton de Genève. Le système de La Poste a été suspendu après la découverte de défauts de sécurité importants lors d'un test d'intrusion effectué ce printemps. Plus de 3000 hackers y ont participé pendant un mois. Une erreur a été détectée dans le code source, rendu public pour l'occasion, et, plus grave, des chercheurs indépendants ont identifié une «faille critique» qui permet à un individu de modifier le résultat d'un vote sans se faire remarquer.

La Poste a assuré que Scytl avait corrigé l'erreur. Elle a néanmoins décidé de suspendre son système pour les votations du 19 mai, le temps que la Chancellerie fédérale réévalue la situation. Elle procède actuellement à un audit. Le modèle de La Poste a été utilisé par les cantons de Neuchâtel, Fribourg, Bâle-Ville et Thurgovie. Le dépôt d'une demande pour les élections fédérales d'automne reste possible. Dans ce cas, la Chancellerie se déterminera à mi-août sur les demandes d'autorisation, s'il y en a.

De leur côté, les cantons se montrent résignés. «Le vote électronique est dans le peloton de tête des attentes des citoyens en matière de cyberadministration. Après quinze ans d'essai, le temps est venu de passer en phase de production ordinaire. Mais force est de constater que les efforts déployés n'ont pas permis d'atteindre le but visé», analyse la chancelière du canton de Fribourg, Danièle Gagnaux-Morel.

Délai trop court

L'instrument genevois CHVote était, pour sa part, condamné à disparaître au plus tard en février 2020, soit après les élections fédérales. Cette décision a été prise par le Conseil d'Etat pour des raisons financières. Les travaux de mise en conformité avec les exigences de sécurité se sont révélés trop coûteux. Vu la situation, le gouvernement cantonal a cependant décidé la semaine dernière d'anticiper l'arrêt de l'exploitation de sa plateforme d'e-voting. Le Conseil d'Etat a estimé que le calendrier fixé par le Conseil fédéral pour l'octroi d'une autorisation (mi-août) ne laissait pas assez de temps pour adapter, le cas échéant, le matériel de vote et le système d'information. En concertation avec ses trois clients que sont Argovie, Berne et Lucerne, Genève a par conséquent décidé de ne pas proposer le vote électronique pour les élections fédérales.

L'e-voting est ainsi dans l'impasse. La consultation organisée par le Conseil fédéral a donné des résultats contrastés: «Les cantons étaient pour, les partis politiques contre», résume Walter Thurnherr. En effet, 19 cantons se sont dits favorables à l'introduction officielle du vote électronique. Walter Thurnherr annonce que les essais pourraient reprendre. Mais leurs conditions seront rediscutées avec les cantons. Les discussions porteront sur l'évolution de la technologie, les contrôles indépendants et l'association des milieux scientifiques. Un rapport sera présenté d'ici à fin 2020.

Lire aussi: Super-attaque contre le vote électronique

Mais les chances de résurrection semblent compromises. L'OSE craint que la décision de cette semaine entraîne la «démobilisation des acteurs impliqués, ce qui mettrait un terme définitif au vote électronique». Un comité composé de politiciens de tous bords et de personnes travaillant dans la sécurité informatique a lancé en janvier une initiative populaire demandant un moratoire sur le vote électronique en Suisse. Cela signifie que le peuple sera sans doute appelé à voter sur ce sujet (mais pas en ligne). Le comité d'initiative exige l'abandon complet et définitif du vote électronique et pas simplement sa suspension, écrit-il jeudi dans un communiqué.

Par ailleurs, le Conseil national adopté la semaine dernière une motion de Claudio Zanetti (UDC/ZH), un sceptique de la première heure, qui demande que les Suisses de l'étranger puissent «recevoir le matériel de vote par voie électronique, l'imprimer et voter par correspondance.» Cette motion, qui doit encore être adoptée par le Conseil des Etats, offre ainsi une solution de rechange à la «Cinquième Suisse.»